Un peu de mécanique

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Aesys entra et alluma machinalement les lumières de la pièce qui était plongée dans le noir malgré le soleil présent au Zenith. Il n’y avait aucune fenêtre et les murs semblaient épais. Directement à gauche de l’entrée se trouvait une grande masse recouverte par un grand drap blanc. Vu la forme de celui-ci, on devinait clairement une pièce d’artillerie. Les ampoules s’allumaient l’une derrière l’autre ce qui posa l’accent sur la grandeur de la salle. C’était un grand laboratoire propre. Des câbles tombaient du plafond et soutenaient de nombreuses pièces mécaniques : des roues, des canons… tout cela était très décoratif. Au sol il y avait des carcasses d'engins en tous genres, des sortes de moteurs ouverts et incomplets, des roues, d'autres canons...

C’était au fond de la pièce que les choses devenaient plus étranges : les câbles commençaient à soutenir des répliques de membres humains proportionnés ou non. Parfois les mains étaient remplacées par des crochets étranges, des foreuses, des pics et même des armes. Les pieds, eux, étaient remplacés par des lames pliées accompagnées de ressorts, ou bien par des vérins pointant sur un embout caoutchouté. Toutes formes de prothèses pendaient là, on aurait pu assembler un robot si elles avaient été fonctionnelles, mais ce n’était pas le cas.

Aesys s’enfonça encore un peu plus loin dans la pièce, jusqu’à approcher d’un nouveau drap blanc recouvrant une chose difforme et d’autres installations. Sur toute la gauche du hangar se trouvait un établi rangé par endroits et malmené à d’autres. L’ingénieure alla y ramasser un trousseau de clef tout en y déposant son bras mécanique avant d’expliquer un peu la situation.

— Nous y voilà, bienvenue dans mon laboratoire attitré.

La jeune femme regardait autour d’elle, comme pour voir si rien ne manquait. C’était une habitude qu’elle avait prise : on n’est jamais trop prudents, même quand on choisit soi-même ses serrures. Après avoir remis sa mèche en place, elle continua à parler avant de s’attraper le menton d’une main et de mettre l’autre sur sa hanche. Elle s’inclina légèrement en arrière, ce qui accentuait son air légèrement hautain.

— Avant toutes choses, je m’appelle Aesys Dilogarth. Je suis ingénieure et je travaille actuellement pour Neo-indust. Je vais vous demander de m’assister dans l'un de mes projets personnels. Êtes-vous d’accord ? Pouvez-vous vous présenter ? C’est un peu un contrat déontologique.

Danner pénétra dans le laboratoire, laissant la jeune femme le précéder afin de le préparer à la suite de leurs petites aventures. Ces yeux s'habituant peu à peu à la nouvelle luminosité alors que les lumières s'éclairaient une à une, il commença à observer cette étrange pièce, bien familière par certains aspects et pourtant si intéressante. La première chose qu'on pouvait remarquer était le soin apporté à l’organisation et à la propreté de cette pièce. C'était presque trop... trop bien rangé, trop bien lavé, trop aseptisé, manquant du charme légèrement fou des labo en bordel où les pièces s'entassaient peu à peu dans une montagne d'idée et de pensées, reflétant l'apparence droite et stricte de son occupante.

Pourtant, Danner revient vite sur son idée concernant le charme de la pièce. Quoi qu'o puisse en dire, les inventions qui s'alignaient partout dans la salle compensaient plus que largement le léger manque d'intérêt du décor. Au delà des divers moteurs et autres choses relativement classiques dans la vision Siderienne de la création mécanique, c'était le fond de la salle qui attirait vraiment toute son attentions. Des amis du bras que tenait la jeune inventrice, de toutes formes, tailles et complexité, d'autres membres tout aussi bien conçus et, Danner en était sûr, prêts à l'emploi. Magnifique.

Devant lui s’installait tout un système de recherche sur le remplacement.... non ! l'amélioration de l'humain par la machine. d'un oeil presque amusé, il regarda la jeune femme qui ramassait un trousseau de clé vers le fond de la pièce. Il était stupéfait qu'on ai pu lui accorder de telles recherches, sans finir par lui retirer ses crédits ou l'enfermer quelque part avant que des expérimentations louches ne commencent. Danner faillit rigoler un peu. peut-être étaient-ils juste trop aveugles pour voir ce que tout ça pourrait donner. Heureusement. C'était bien plus sympathique comme ça.

Il vit l'inventrice se retourner vers lui, prenant une pose d'une parfaite importance dramatique avant de commencer à s'exprimer. Aesys Dilogarth. Bien. Il fallait que les deux joueurs commencent à se connaitre avant de pouvoir apprendre la stratégie de l'autre, après tout. Courbant son dos dans une petite révérence, Danner commença lui aussi à parler.

- Enchanté mademoiselle Dilogarth. Danner Farag, pour vous servir. Je suis actuellement voyageur, et ancien élève de l'école militaire de Néonexios. J'accepte de vous assister dans les projets personnels que vous souhaiterez développer, et jure de garder un secret professionnel sur tout ce qui pourrait se passer dans ce laboratoires. De plus, je m'engage, durant la durée de ce service, à répondre de façon stricte au différent ordres que vous pourriez m'intimer pour le bien de ces expériences.

Faisant une deuxième courbette, il regarda Aesys avec un petit sourire en coin.

- Désolé de ne pas pouvoir faire mieux, j'avoue avoir perdu l'habitude des formalités d'usage.en espérant que vous soyez satisfaite, Mademoiselle mon employeuse.

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Aesys se demandait si le « voyageur » n’en faisait peut-être pas un peu trop, elle ne savait pas vraiment si elle devait souligner cela ou non. Elle décida de garder sa remarque pour elle en se disant qu’il ne s’agissait que d’un test simple à réaliser et que, bientôt, elle n’aurait plus affaire à cet homme. Celui-ci expliqua qu’il garderait le secret, ce qui rassura un peu l’ingénieure : cela l’arrangeait bien puisqu’il s’agissait de la seule personne autorisée à mettre les pieds dans ce lieu. Aesys avait su être convaincante au sujet de l’autorité qui lui était accordée au sein de son laboratoire. Pour répondre à son assistant de fortune, Aesys ne put s’empêcher d’être ironique : elle lâcha son menton pour placer sa main paume au ciel, doigts déployés, au niveau de son épaule. Son autre main reposait toujours sur sa hanche. Elle haussa les épaules en levant les yeux tout en inclinant la tête comme pour fuir du regard.

— Ça fera l’affaire !

Elle reprit un air plus sérieux avant de se mettre en marche vers une cabine qui se trouvait à droite des installations. En entrant dans celle-ci, elle demanda à Danner de patienter une seconde. Il n’en fut guère plus pour qu’elle n’en ressorte habillée d’une combinaison grise, de chaussures de sécurité et d’une paire de gants noirs. En ajustant une paire de lunettes de machiniste, elle s’approcha du grand drap blanc pour le retirer dans un geste théâtral. La machine semblait d’une autre ère, l’inventrice avait pris soin de nettoyer l’engin après chaque manipulation et chaque modification. Cette habitude qu’elle avait prise retirait le charme de l’engin expérimental tout en lui apportant celui du produit finit. L’objet était replié mais semblait presque atteindre les trois mètres une fois déployé, son diamètre était bien de quarante, voire de cinquante centimètres. Les engrenages, les pistons de guidage, les courroies... tout était calculé pour être le plus ordonné et le plus efficace possible. Juste à côté de la base de ce bras gauche mécanique se trouvait un fauteuil, l’unique repose bras était une sorte de manette qui elle-même avait la forme du membre humain. Plusieurs sangles en pendaient, que ce soit pour le biceps ou pour les phalanges, tout devait être attaché aux commandes.

— Voilà ce que nous allons tester : un bras mécanique alimenté par deux moteurs à quadruple expansion. J’aurais rêvé de faire tourner l’engin à l’aide d’un moteur à explosions… Mais le mélange air-essence n’étant pas au point, en plus d’autres paramètres divers, nous nous contenterons de la vapeur traditionnelle.

Aesys s’avança vers les deux machines et ramassa une ceinture parée d’outil qui était posée là. Elle ne prit pas la peine de la mettre à la taille et l’enfila en bandoulière. Elle ouvrit la petite porte d’un grand bloc situé à l’arrière des deux moteurs, sortit une allumette de l’une des poches de sa ceinture et l’alluma avant de la jeter dans le mécanisme. Un grand bruit de flamme naissante se fit entendre : tout était prêt. La jeune femme comptait faire brûler quelques litres de gaz pour son expérience, le charbon n’était pas un combustible qu’elle appréciait beaucoup. Peu de temps après avoir mis la chaudière en marche, les pistons commencèrent à s’animer. En voyant cela, Aesys baissa un des leviers de commandes pour garder la pression : ceux-ci s’arrêtèrent. Elle profita du temps de chauffe pour expliquer la suite des opérations.

— Ce sera très simple, j’ai besoin de quelqu’un pour manipuler le bras tandis que je me charge de l’alimentation. Vous allez devoir vous asseoir sur ce siège et sangler complètement votre bras au mécanisme. Attention aux phalanges, gardez le poing fermé au démarrage sinon le mécanisme ne va pas apprécier.

L'ingénieure réalisa tous les petits détails qui feraient que l’opération pouvait s’avérer délicate au niveau du poste de commande, elle commença à craindre que son choix d’assistant ne soit pas le bon. Enfin, il était trop tard et la distribution de la puissance sur les arbres de sortie ne pouvait pas non plus être effectuée par n’importe qui. D’autant plus que la machinerie était complexe et qu’il y avait deux moteurs à gérer. Et puis, avoir quelqu'un qui ne faisait pas partie de la communauté scientifique sous le bras était un plus qui la conforta dans son choix.

— Le mécanisme reproduira les mouvements que vous effectuerez avec votre bras. Ne faites surtout pas de mouvements trop brusques au départ, il s’agit de tester le fonctionnement purement mécanique : rien n’est certain même si les calculs sont bons. Faites ce qui vous vient à l’esprit, je n’ai pas de schéma particulier. Evitez juste de frapper le sol, j’aimerais garder mon laboratoire et ce bras intacts.

Aesys avait laissé un périmètre de sécurité autour du bras, rien n’était à portée de celui-ci. L’ingénieure fit un geste pour inviter l’homme à s’asseoir et à se préparer : il était temps de commencer. La jeune femme semblait avoir mit de côté ses nobles manières et se tenait sur ses appuis, le dos droit comme s'il fallait pouvoir réagir au moindre événement. D'un geste rapide elle fit glisser ses lunettes de travail devant ses yeux et empoigna un levier d'une main. Son autre main était déjà sur la commande de pression et l'actionna d'un geste continu et maîtrisé pour ne pas brusquer le système.

— Nous allons pouvoir commencer. Je mets en marche les moteurs. Dès que vous êtes prêt, j’embraye.

Danner eut une légère étincelle dans le regard en entendant la réponse ironique d'Aesys. au moins, ils semblaient être sur la même longueur d'onde tout les deux quand à la nécessité de formalisation. Ca le changerait agréablement de tout ces péteux administratif qui semblaient pulluler dans les divers rassemblements scientifiques du monde entier, ne rêvant apparemment que de noyer le monde sous la paperasse et les formulaires d'acceptation. Ne restait plus maintenant à voir quelle serait la réalité de l'expérience qu'il avait été embauché pour tester. Au moins espérait-il que ce ne soit pas une quelconque évolution dans la thermodynamique des services à thé....

Pour le coup, on peut dire que Danner ne fut pas déçus. Alors qu'Aesys faisait tomber le drap blanc d'un geste magnifiquement théâtrale, le sujet d'expérience ne put retenir un sifflement admiratif devant la forme immense et magnifique qui se révélait à lui. Il s'était plus ou moins dit que l'expérience tournerait autour d'un des cousins du bras mécanique qu'Aesys tenait dans sa main, mais il ne s'était pas franchement attendu aux dimensions du petit dernier de la famille. Il devait faire au moins dans les trois mètres, et être au moins aussi large que lui.
Pendant quelques secondes, Danner imagina la présence de cet engin magnifique sur un champ de bataille classique, épée et protection adéquate en main. Un sourire s'épanouit sur son visage devant les visions cauchemardesques des ravages démentiels que pourrait provoquer cette invention révolutionnaire. Le vol gracieux ddes soldats expédiés dans le royaume des nuages par un simple revers de la main, les trous disgracieux dans le sol après un écrasement de ce poing au jugement quasi-divin sur la mort et la vie de ses ennemis...

Ses réflexions furent interrompues par le bruit sourd des pistons qui se mettaient en route, témoins bruyants de la bonne santé de l'appareil. Ceux-ci s'arrêtèrent presque aussitôt lorsqu'Aesys baissa un levier depuis son poste de commande, profitant de ce moment pour lui expliquer son rôle dans l'affaire qui les tenaient tout les deux réunis dans ce laboratoire. Sa tâche serait on ne peut plus simple, mais pour le moins intéressante. Sa curiosité maladive le poussait à essayer se bras depuis le début, et il se retrouvait en position parfaite pour s'amuser un peu.
S'approchant du système de commande, on ne peut plus intuitif, il introduisit son bras dans les diverses sangles, attachant peu à peu toutes les diverses pièces conçues pour l'immobiliser au cœur du mécanisme. Lorsqu'Aesys lui donna le signal du départ, il était prêt à faire fonctionner l'expérience.

Il commença à dérouler lentement les doigts, un par un, attentif à la réaction du mécanisme. Voyant qu'il reproduisait ses mouvements à merveilles, Danner eut un petit sourire. Ils allaient pouvoir entrer dans le vif du sujet. Il referma son poing une ou deux fois, écoutants les bruits du métal en mouvement remplir le laboratoire avec douceur, et finit par le garder à moitié entre-ouvert, la garde d'une épée imaginaire présente dans sa main. D'un ample mouvement vers la gauche, il déplaça le mécanisme dans un mouvement de tranche.
Parfait. Le champ avait été dégagé dans l'éventualité d'une expérience, et il avait donc réussi à ne rien détruire par ce petit geste. Il pouvait s'amuser un peu maintenant.
Augmentant progressivement la cadence, il commença à dérouler divers mouvements classiques de l'escrime. Pointe, fente, parade, tranche et estoc, enchaînes de plus en plus rapidement, de plus en plus fluidement, poussant le mécanisme à démontrer l'étendu de ses capacités dans les domaines de la souplesse et de la coordination. Pendant quelques minutes il enchaînât les passes contre un adversaire intangible armé de son épée invisible, se demandant à moitié ce que produisait cette expérience en terme de résultats.

Danner finit par arrêter son petit combat au bout d'un moment, laissant au repos le bras mécanique que cette drôle d'ingénieure avait conçus. Puis une petite pensée lui traversa l'esprit. Ce serait vraiment stupide de ne pas regarder un dernier petit truc avant que l'expérience ne se termine.... Il posa son pouce contre son index dans un mouvement net et précis. Attendit quelques secondes. Puis claqua des doigts.

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Aesys sourit lorsque Danner commença à ouvrir et fermer le poing de la machine. C’était un bon début. En profitant de la légère latence présente entre l’action de la manette de du mécanisme, l’ingénieure se chargeait de la machinerie. Augmentation de pression, réglage des sorties de boîte, arrivée d’eau, d’air, de gaz… Le bras ne bougerait pas tout seul et il fallait jauger en fonction des mouvements. Tout allait bien… au début. La jeune femme leva un sourcil quand elle vit l’homme faire un mouvement sec. D’un geste rapide elle envoya plus de pression avant de relâcher pour éviter que le mécanisme de cède. Malheureusement pour elle l’expérience n’allait pas être de tout repos puisque l’homme continua dans le domaine de l’escrime. Mais à quoi pouvait bien penser ce jeune fou ? Imaginait-il le bras sur un champ de bataille ? Pourquoi pas, après tout ? Enfin, ce n’était pas là son utilité première. Quoi qu’il en soit, Aesys devait s’agiter sur les leviers de réglages. Dans son acharnement pour réguler la machine elle avait envie de hurler à Danner d’arrêter de faire n’importe-quoi., mais la machine semblait tenir le coup. Elle ne se décida même pas à couper l’alimentation. En fait, elle était prête à passer quelques jours de plus à réparer son engin si cela lui permettait d’en voir les limites.

L’ingénieure était rassurée de voir que l’homme avait fini ses passes d’escrime pour enfin faire descendre le bras mécanique. Elle baissa les niveaux d’alimentation et initia la remise en position de repos du bras en actionnant un levier à la base de celui-ci. Danner, qui essaya de faire claquer des doigts le mécanisme, ne réalisa pas que le bras était déjà libéré de ses commandes : la remise en place était prioritaire. En relevant ses lunettes de protection, elle actionna encore quelques leviers de sa main gauche en ignorant la potentielle frustration de son assistant. Une fois qu’elle eut finit ses manœuvres, elle retira ses gants d’un geste rapide. Elle s’éventa le visage de la main qui tenait ceux-ci tout en s’étirant la nuque avant de sortir son petit carnet. D’une seule main, elle tourna quelques pages tout en accrochant ses gants à sa ceinture posée sur son épaule. Elle leva un sourcil tout en se parlant à elle-même.

— On dirait que j’avais sous-estimé les vérins principaux. Ils tiennent plutôt bien, en fait.

La jeune femme sortit de sa ceinture une mine en carbone et commença à écrire quelques notes dans son livret. Elle prit du recul par rapport à son carnet tout en se mordant la lèvre et chantonnait en rédigeant ses notes, comme pour donner un rythme à son écriture. Elle s’attela à faire le compte rendu de l’expérience à son assistant, un peu par réflexe. C’était quelque peu naturel : puisqu’il avait participé à l’expérience il avait bien le droit d’en entendre les résultats, même s’il ne les comprendrait pas pour autant.

— C’est satisfaisant… très satisfaisant ! Vous m’avez fait un peu peur vu la brutalité de certains de vos mouvements, mais le mécanisme a été plutôt réceptif. Aucune casse malgré tout cela, c’est assez surprenant et très encourageant. J’ai quand même du débrayer plusieurs fois en descente pour freiner le système, la régulation de l’alimentation était très particulière à gérer pour de tels gestes. Cependant, on ne peut pas non plus avoir un expert en la matière aux commandes à chaque utilisation de la machine. Il va me falloir simplifier, voire automatiser, le système. Enfin, je préfère ne pas perdre trop de temps avec la vapeur. Je compte bien changer le système d’alimentation.

Elle quitta son carnet du regard et observa les commandes que venait d’utiliser Danner. Tout en notant quelques résultats dans son carnet d’un geste mécanique, elle continua à donner les résultats. Son ton était descendant, comme si cette action était une formalité qu’elle réalisait au quotidien.

— Donc, commandes d’alimentation : bonnes mais à revoir. Commandes système : toutes fonctions opérationnelles. Efficacité de l’alimentation : moyenne, j’ai quand même pu l’optimiser au mieux au cours des manœuvres. Système de l’arbre principal : fonctionnel. Systèmes secondaires : toutes fonctions actives. Fidélité de la reproduction des gestes : quasi-optimale. Aucune difficulté dans les changements d’axes, très agréable surprise. Léger ralentissement dans la levée, ce sera réglé au changement d’alimentation. Il me faut jeter un coup d’œil plus attentivement au système interne pour faire un relevé de l’usure. Pour l’instant nous allons nous arrêter ici. C’est vraiment… parfait.

Sans pouvoir trop résister à l’appel, Aesys posa tout de même le regard sur le mécanisme qui n’était pas totalement masqué par des caches. Après quelques secondes, elle enleva pour de bon ses lunettes et les rangea dans une des poches de sa combinaison avant d’en sortir un linge. Elle s’en passa un coup sur le visage en tapotant légèrement la serviette contre celui-ci. Il faisait chaud derrière ces deux moteurs, la température de la salle entière avait d'ailleurs augmenté. Une fois un peu remise des efforts de calculs qu’elle effectuait silencieusement en se basant sur les prévisions de son futur système d’alimentation, elle s’approcha de Danner. Son visage, malgré la sueur et la vapeur, avait toujours quelque chose de particulier. Elle affichait un sourire satisfait et croisa les bras en arrivant devant son assistant. Elle s’exprima d'un ton assez jovial, ce qui était assez rare, mais son sérieux était tout de même perceptible :

— Bien, monsieur Farag, je vous fais confiance ! Vous ne devez parler de tout cela à personne ! Comme je l’ai déjà dit : tout ce projet est personnel. Mes collègues et l’industrie n’ont pas besoin de connaître son existence.

Danner regarda le bras qu'il venait de laisser, tournant le sien dans un sens puis dans l'autre pour voir si sa sensibilité n'avait pas été affectée. Au final, c'était une expérience plutôt.... amusante. Voir ainsi prolongé ses propres mouvements avait quelque chose d'excitant, de quasi-divin en fait. Savoir que ses actions, même minimes, peuvent avoir des conséquences démesurées, c'est tout à fait le genre de chose à même de faire rire Danner, pour le meilleur et pour le pire. En tout cas, l'expérience c'était bien passée. Pas qu'il s'en préoccupe énormément, mais il était plus sympathique de ne pas déclencher un duel meurtrier avec cette scientifique, et par extension une bonne partie des gardes de la ville. L'ingénieure en question était d'ailleurs affairée autours de ce bras, examinant les mécanismes, notant diverses idées, parlant à voix haute certes mais plus pour elle-même que pour lui. C'était peut-être comme ça que fonctionnaient ces gens, vivant avec un angle de vue différent du reste des gens.

Danner était sûr que s'il avait décidé à ce moment là de s'éclipser discrètement d'une manière ou d'une autre, Aesys ne s'en serait même pas rendu compte. Mais bon, quoi qu'il en soit, c'était à lui qu'elle parlait malgré tout. Même si elle ne s'attendait peut-être pas réellement à une réponse développée, les convenances lui dictait quand même de ne pas laisser le sujet flotter ainsi dans l'air.
Il la regarda avec un peu plus d'attention qu'il ne l'avait fait auparavant. Elle était maintenant tournée vers lui, le regardant vraiment, et avec attention qui plus est. ELle gardait comme toujours sa position sérieuse de scientifique digne et méthodique, dos droit et bras croisés, mais on distinguait dans sa voix un peu de joie, si ce n'est de l'amusement. C'était normal après tout, son expérience marchait, et marchait même mieux que ce qu'elle semblait avoir prévue initialement.

Affichant un petit sourire à volonté amadouant, il regarda Aesys dans les yeux. Bon. Le petit moment de détente de la soirée était terminé, il était temps pour lui de quitter la scène... à moins que... peut-être pourrait-il trouver quelques autres trucs pour rigoler encore un petit moment.

- Appelez moi Danner, pas de soucis là dessus. Et ne vous inquiétez pas, je connais un peu le monde de la science. il y a toujours un bon moment pour choisir de révéler quelque chose, et vaut mieux garder le reste secret d'ici à ce que ce moment vienne.

Il se tourna vers la porte du laboratoire. Huuuumm.... Devait-il tenter quelque chose maintenant ou pas ? Cela pourrait être rigolos de rester un petit peu plus, ne serait-ce que pour voir s'il y avait d'autres choses de drôles à faire en ce lieu au final relativement étrange. Il n'avait rien d'autre à faire de sa journée, au final, alors autant tirer un peu sur la corde.

- Par contre, je ne sais pas ce que vous avez prévue pour la suite. Souhaitez vous que je vous donne un moyen de me recontacter rapidement si vous avez d'autres tests à conduire sur cette expérience ? Allez vous profiter de l'avantage d'avoir un assistant technique sous la main pour tester d'autres merveilles de cet acabit ?

Il eut un petit rire, brisant volontairement le ton solennel qu'il avait créé par ces quelques phrases.

-Dans tout les cas, ça a été un honeur de vous assister, et, je dois l'avouer, un moment bien sympathique.

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Un assistant disponible ? Cette nouvelle embêtait un peu la jeune femme : elle avait fini par prendre goût à la solitude. En fait, ses interactions sociales étaient limitées à l’achat de matériel quand il ne s’agissait pas d’administration. Avoir quelqu’un d’un peu trop impliqué dans ses expériences n’était pas vraiment ce qu’Aesys recherchait. Mais rien ne l’engageait à faire appel à Danner sans bonnes raisons. Alors, des fois qu’elle ait à nouveau besoin de quelqu’un, elle répondit sans plus réfléchir.

— Eh bien, après le succès d’aujourd’hui je dois avouer que l’idée est plutôt bonne. Si je peux…

L’ingénieure s’interrompit. Son sourire, qu’elle n’affichait que très rarement, s’estompa pour laisser place à un air inquiet. Un léger grésillement naissait et se faisait entendre au loin, mais sa source était introuvable. En cherchant du regard, Aesys tenta d’en trouver l’origine. Soudain, elle vit une légère fumée émaner de l’un des containers où elle rangeait ses pièces inutilisées. Elle inspira par le nez avant de prendre un air terrifié. Un léger frisson courra le long de son dos et l'immobilisa une moitié de seconde.

— Cette odeur… une bombe !

Sans plus attendre, elle attrapa son assistant par l’épaule et courut jusqu’à la sortie. L’explosif commença à siffler et le son allait croissant : la détonation était imminente. Aesys pesta en se souvenant que ses clefs étaient dans son autre tenue, ils n’allaient pas avoir le temps de s’échapper. Les gestes de l’ingénieure allèrent plus vite que sa pensée : elle se précipita vers son prototype de la veille toujours caché sous son drap. Elle montra à Danner qu’il devait s’abriter derrière l’objet massif, juste sous son canon, en pointant du doigt l'endroit. Il y avait de quoi s'asseoir à côté du grand cylindre métallique.

— Là ! Vite !

La jeune femme ne le suivit pas et sauta de l’autre côté avant de rapidement orienter la bouche à feu sur la serrure massive de la grande porte. Malgré le nombre de manipulations requises pour viser, elle arriva à faire feu en un temps record. Le projectile déchira le drap tout en l’emportant, ce qui révéla l’engin : il s’agissait de l’une des premières artilleries mobiles semi-automatiques. Sans se vanter de son tir qui venait de faire sauter les chaînes de la grande sortie, Aesys sauta se cacher elle aussi à l’avant de la machine après avoir enlevé le système de freinage. L’engin, monté sur trois roues, offrait largement la place suffisante pour loger une personne de chaque côté du canon. Le sifflement continua de s’intensifier un bref instant avant de laisser place à une explosion des plus bruyantes. Aesys qui avait les mains sur ses oreilles et qui avait enfilé ses lunettes de sécurité, fut surprise par le choc subit par le prototype. Heureusement, l’artillerie était assez stable et l’explosion se contenta de la propulser vers l’avant.

Tout se passa très vite : l’engin défonça la porte en y pliant son canon à cause du choc et roula sur une vingtaine de mètres, toujours poussé par le souffle. Le métal était devenu presque instantanément brûlant, mais cette désagréable douleur ne dura pas longtemps puisque le prototype perdit l’équilibre et que les deux survivants manquèrent de se faire écraser par celui-ci tout en en tombant. Après plusieurs roulades dans le sol terreux marqué de nombreuses traces de divers véhicules, l’ingénieure releva sa tête noircie par les événements tout en toussant. Elle poussa sur ses deux mains pour commencer à se redresser mais elle resta allongée à côté des traces profondes que son artillerie avait laissées en dérapant. Elle resta comme ça, l’air interdite, à regarder son bâtiment s’écrouler sur lui-même à travers ses lunettes presque opaques. Elle les releva avant de s’essuyer les yeux d’un rapide revers du bras. Elle contempla à nouveau la catastrophe. Ses yeux s’écarquillaient et sa bouche s’ouvra à cause de l’étonnement : elle n’en revenait tout simplement pas.

L’ingénieure resta une vingtaine de secondes au sol à réaliser ce qu’il venait de se passer. Pour elle, cette vision dura plusieurs minutes. Quelque chose en elle n’allait pas : un profond dégoût commençait à l’envahir. Une déception immense commençait à prendre le dessus sur la terreur et l’étonnement. Elle ferma les poings et se releva. Tout le monde était déjà rassemblé pour regarder le laboratoire s’effondrer. Quelques membres des autorités débarquèrent en toute hâte. Il s’agissait de la surveillance du complexe. Aesys, qui semblait être la plus choquée, fut de suite interpelée.

— Il s’agit de votre bâtiment, non ? Vous savez ce qui a bien pu se passer ?

— Je… je… dit Aesys en tentant de parler, toujours sous le choc.

— Eh bien… Ça ne va pas, vous ! Vous allez arriver à me dire ce qui s’est passé ?

— Je… viens de perdre mon laboratoire ! Fichez-moi la paix !

La foule commençait à s’agglutiner autour d’elle pour comprendre l’événement. Mais Aesys cherchait son assistant du regard. Ça aurait été dommage qu’il ait succombé à l’explosion. Les alertés, eux, se contentaient de regarder le bâtiment, ou la rescapée, tout en posant des questions plus ou moins pertinentes.

— C’était intentionnel ?

— Une mauvaise manipulation ?

— Un accident ?

— Vous avez une idée de la cause de l’explosion ?

— Vous allez bien ?

— C'est qui ?

— Un attentat ?

Aesys bouillonnait de l’intérieur. Elle ne savait pas quoi dire, elle n’allait pas commencer à répondre à chacune de ces questions alors que son cœur battait encore à cent à l’heure et qu’elle tremblait comme une feuille. En serrant les poings, la jeune femme hurla comme pour dire à tous de se taire. Ceci fit son effet, après quelques secondes de silence pesant, elle prit la parole.

— MAIS LÂCHEZ-MOI, ENFIN ! Vous croyez que je suis en état de satisfaire votre futile curiosité ? Vous voulez savoir ? Allez voir vous-même ! Avec cette odeur c’est évident qu’il s’agit d’une bombe chimique ! Je ne sais rien d'autre !

En sortant à grands coups de bras de la foule qui s’était formée autour d’elle, Aesys s’approcha de son prototype emporté par l’explosion. Elle leva à nouveau les yeux sur son laboratoire détruit ; les flammes ne semblaient pas se propager, c’était déjà ça. Tout en reprenant la recherche de Danner, l’ingénieure dressait déjà une liste des potentiels suspects. Qui avait bien pu faire entrer une telle arme dans ce bâtiment sans se faire voir ? Sans qu’elle ne s’aperçoive de quoi que ce soit ? Répondre à ceci allait être difficile. Mais tout le monde ne pouvait pas se procurer où produire ce genre d’explosifs. Ce type d’arme nécessitait une longue réaction chimique qui pouvait parfois prendre plusieurs heures selon les dosages. C’était la bombe à retardement idéale. Mais le nombre de ses possesseurs était réduit, ça allait sûrement être important pour les recherches. Bouleversée, l’ingénieure avait envie de rentrer chez elle et de s’isoler. Mais avant cela il fallait qu’elle s’assure que Danner était en vie. Elle n’avait vraiment pas envie d’avoir la mort de quelqu’un sur la conscience. Pas dans ces circonstances là, en tous cas. Car ici, elle était totalement responsable du fait d’avoir fait entrer cet homme dans son laboratoire. Son inquiétude dépassait de loin ce qu'elle avait pu s'imaginer dans ses scénarios catastrophes. Ses pas étaient hésitants, comme si elle avait peur d'une autre explosion. Elle cherchait son assistant avec agitation, en tenant les poignets tour à tour. Elle avait l'air sévèrement dérangée, mais avec ce qui venait de se passer... cela semblait approprié.

— Mais où peut-il bien être, bon sang ? Farag ? Danner ? Vous êtes quelque part ?